Vous recevez de plus en plus de messages privés de jeunes inconnues sur Twitter ? Au risque de vous décevoir, la grande majorité d’entre elles sont en fait… des hommes faisant partie d’un réseau d’arnaqueurs.
Après Facebook et Instagram, les « brouteurs » ont envahi Twitter, où ils espèrent également duper des internautes. LP/Sébastien Xavier
Par Nicolas Berrod
Le 30 novembre 2019 à 10h51, modifié le 30 novembre 2019 à 11h56
Elles se font appeler Emilie, Naomie ou Kim, et semblent tout droit sorties d'une agence de mannequins. Mais ce jour-là, elles ont visiblement déserté les podiums pour votre messagerie Twitter, et elles veulent tout savoir de vous : « Salu bel homme comment allez vous? ». Flatteur? Pas vraiment. Car au risque de vous décevoir, derrière ces comptes aux photos de profil aguicheuses se cachent en fait des hommes cherchant à vous soutirer de l'argent.
Le phénomène n'est pas nouveau. Ces « brouteurs », comme on les appelle en analogie aux moutons qui paissent sans effort, ont depuis longtemps fait du Web un terrain de chasse. Ils ont d'abord opéré par mail et sur les messageries instantanées, comme MSN puis Messenger, puis via les réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram. Les voilà désormais sur Twitter avec un mode opératoire inchangé : ils entrent en contact avec vous, tentent de vous séduire par ordinateur interposé et vous font miroiter une rencontre physique, pour vous faire débourser quelques centaines d'euros. Une arnaque qui touche très majoritairement les hommes.
Jusqu'à récemment, le réseau social semblait pourtant épargné par ce type d'arnaque. « Moins adapté aux rencontres », selon Samuel Bendahan, chercheur en sciences du comportement à l'université de Lausanne, Twitter jouissait en effet d'une image plus professionnelle que Facebook, par exemple.
Mais la donne a changé. « Les canaux habituels se sont bouchés et, dans le même temps, des plateformes comme Twitter ou Snapchat sont devenues de plus en plus populaires, analyse le spécialiste. Logiquement, les brouteurs les ont investies… »
Demande urgente d'argent
« D'après mon expérience sur les comptes Twitter que je gère, le phénomène s'est intensifié ces derniers mois », note Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l'université Paris-Diderot et spécialiste des cultures numériques. « Ça arrive un peu par séries, mais là j'en ai au moins quatre ou cinq par semaine », témoigne pour sa part Sébastien, un utilisateur de Twitter habitant la Vienne, qui s'amuse à raconter à tous ses « followers » ses échanges virtuels avec ces faux comptes.
Lorsque la discussion écrite s'engage, de manière plus ou moins sérieuse, il se passe généralement très peu de temps avant que ce correspondant virtuel fasse part d'une demande urgente d'argent, comme nous avons pu le constater. La raison peut être, par exemple, de financer la soi-disant hospitalisation d'un proche malade.
Les utilisateurs de Twitter qui n'ont pas « ouvert » à tout le monde leurs messages privés se retrouvent, a minima, « suivis » par beaucoup de ces comptes.
Ces professionnels de l'arnaque sévissent généralement depuis des cybercafés en Côte d'Ivoire et au Nigeria, et peuvent gagner gros. En avril dernier, la chaîne TV5, qui consacrait un reportage au phénomène, estimait ainsi à 200 millions d'euros le préjudice dû à ces arnaques sentimentales en 2016 aux Etats-Unis.
Dans certains cas, ils cherchent aussi à se procurer des images intimes de leurs « proies », pour ensuite leur faire un chantage financier. Les photos seront rendues publiques, sauf si la personne piégée accepte de payer une somme d'argent.
Recherche inversée de la photo de profil
Quelques éléments laissent pourtant peu de doute sur le côté fallacieux de ces profils. Il faut donc y être attentif. La photo, tout d'abord, est généralement celle d'une personne réelle déjà présente sur les réseaux sociaux, mais sous son vrai nom. C'est le cas pour environ 80 % des vingt clichés que nous avons scannés sur Google, via son moteur de recherche inversée. L'un des comptes Twitter a, par exemple, comme photo de profil la même que celle utilisée par le mannequin Gabriella Lenzi sur sa page Facebook.
Désormais, il arrive pourtant parfois que certaines photos n'existent nulle part ailleurs sur Internet. Car les arnaqueurs peuvent aussi utiliser des outils qui « génèrent de fausses photos d'un individu », note Sébastien Gest, de la société de cybersécurité Vade Secure.
Autre indice : l'orthographe balbutiante des messages envoyés. Même si ce n'est pas le cas à chaque fois, les fautes s'accumulent généralement, et la syntaxe laisse parfois à désirer. « Salut jaimerais fails ample connaaissance avec vous », a par exemple osé une certaine « Caterine ».
« Beaucoup de nos clients professionnels en ont marre »
Il n'empêche que si ces faux comptes sont toujours très nombreux et continuent à solliciter des internautes, c'est aussi car « certains se font avoir », note Tristan Mendès France. Plusieurs personnes versent des sommes d'argent, pensant de bonne foi entretenir une relation sérieuse avec leur correspondant virtuel. Ceux qui se font avoir sont généralement « en détresse sociale, et ils vivent plutôt seuls », note Samuel Bendahan. Et d'ajouter : « Ils ne représentent qu'une infime minorité de gens, mais les brouteurs envoient le même de genre de messages à des centaines de milliers de personnes. »
Lorsque la vérité est découverte, les conséquences peuvent être dramatiques. Plusieurs internautes se sont suicidés ces dernières années, après avoir envoyé une photo d'eux en position suggestive et avoir subi un chantage financier pour ne pas que le cliché soit diffusé. Cela s'est produit, par exemple, au Canada en 2016, et à Brest en 2012.
Sans aller jusque-là, ces sollicitations perturbent aussi le bon fonctionnement de Twitter. « Beaucoup de nos clients en ont marre de se faire contacter quotidiennement par ce genre de faux comptes, car ils ont peur pour leur image alors que Twitter est aussi un outil professionnel pour eux », se plaint-on dans une agence spécialisée dans l'analyse des réseaux sociaux et dans l'image que les marques y renvoient.
Coup de filet en Californie
Les polices des différents pays ne restent pas inactives. En avril dernier, l'Autorité de régulation des télécommunications de Côte d'Ivoire (ARTCI) a indiqué que 89 « brouteurs » avaient été interpellés en 2018 dans le pays. Quatre mois plus tard, le 22 août, le procureur de Californie a annoncé le démantèlement d'un réseau de 80 escrocs en ligne, en majorité nigérians. La police nationale française n'a pas pu nous donner de chiffres sur ces arnaques en ligne.
Contacté, Twitter rappelle de son côté que ses règles « interdisent la création de comptes faux ou trompeurs, notamment les faux comptes engagés dans des activités frauduleuses telles que les escroqueries à caractère amoureux ». Selon son rapport de transparence pour le second semestre 2018, le réseau social a reçu sur cette période plus de trois millions de « rapports de spam », c'est-à-dire de signalements par un internaute d'un message inapproprié (arnaque sentimentale, message de propagande envoyé par un compte robotisé, etc.).
La plateforme n'a pas été en été en mesure de nous donner le nombre de signalements reçus ou de comptes supprimés ces derniers mois. Mais Twitter assure « agir lorsque de telles violations sont identifiées » et qu'il s'agit d'une de ses « priorités ».
Pas sûr, cependant, que cela suffise à endiguer ce fléau. Comme le rappelle Sébastien Gest, « même si ces comptes sont fermés, les personnes derrière peuvent aussitôt en récréer d'autres ».
"Salu bel homme, sa va ?" : sur Twitter, le fléau des arnaques sentimentales
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